Mise en réserve des bénéfices d'une société par l'usufruitier

Vous êtes ici : Accueil / Ressources / Boîte à outils / Fiches Expert / Mise en réserve des bénéfices d'une société par l'usufruitier

Pour faciliter et anticiper la transmission d'un patrimoine familial, notamment immobilier, ou plus généralement pour gérer ce patrimoine, parents et enfants sont souvent amenés à constituer ensemble une société civile immobilière (SCI).

Et pour réduire le coût fiscal de cette transmission, nous avons peut-être conseillé aux parents de donner à leurs enfants la nue-propriété des parts sociales de la SCI qu'ils détiennent. Précision le démembrement de propriété est une technique courante, permettant de transmettre la nue-propriété d'un bien tout en se réservant l'usufruit, qui comporte des avantages indéniables : elle permet de préparer la succession d'un client tout en lui accordant la possibilité de conserver le droit d'usage et donc les revenus tirés du bien transmis. Lorsque l'usufruitier des parts sociales n'a pas immédiatement besoin de revenus complémentaires, il est alors fréquent de mettre en réserve les revenus générés par la SCI au lieu de procéder à une distribution des bénéfices.

Cette décision de gestion a pour conséquence d'augmenter la valeur de la société, puisque les sommes mises en réserve ont pour effet d'accroître la valeur de l'actif social. Rappel lorsqu'une société dégage un bénéfice, elle doit procéder à l'affectation de ce bénéfice. L'assemblée générale ordinaire (composée des associés ou des actionnaires) peut alors décider de les mettre en réserve, ou encore de les distribuer. Lorsque les titres de la société sont démembrés, c'est l'usufruitier qui prend part à cette décision de l'assemblée générale. Les réserves sont en effet des sommes prélevées sur les bénéfices et affectées durablement à l'entreprise. Elles augmentent les capitaux propres et permettent d'accroître la garantie des créanciers, d'augmenter la capacité d'autofinancement de la société, mais également de faire face à des pertes éventuelles. Puis, au décès de l'usufruitier, l'usufruit s'éteint pour rejoindre la nue-propriété. Et cette reconstitution de la pleine propriété intervient sans imposition supplémentaire.

Dans une récente affaire, une mère adoptant ce type de montage avait constitué une société civile avec ses trois enfants qui détenaient chacun une part sociale, les autres parts étant détenues par la mère. Quelques mois plus tard, l'associé majoritaire de la SCI avait fait donation à ses enfants de la totalité de la nue-propriété de ses parts.

Chaque année, l'assemblée générale ordinaire décidait de mettre en réserve les bénéfices de la société.

L'administration fiscale a notifié aux nus-propriétaires une proposition de rectification, soumettant les sommes mises en réserve aux droits de donation. L'administration a en effet considéré que ces décisions répétées de mise en réserve des bénéfices constituaient une donation indirecte, soumise aux droits de mutation à titre gratuit, de l'usufruitière aux nus-propriétaires. Selon elle, cette politique constante d'inscription en réserve des bénéfices constituait une renonciation définitive et irrévocable à leur perception par la mère (usufruitière de la quasi-totalité des parts, elle est donc à l'origine du non-versement de dividendes), destinée à accroître le capital de la SCI dans l'intérêt des enfants nus-propriétaires.

L'administration a donc présumé que l'usufruitier ne percevait pas les bénéfices, mis en réserve, dans le seul objectif de transmettre des parts d'une société valorisée grâce aux renforcements des fonds propres de la société en franchise de droits. Selon elle, les bénéfices mis en réserve reviennent donc obligatoirement aux nus-propriétaires.

Autrement dit, elle affirmait que cette affectation systématique des bénéfices d'une société à un compte de réserve devait être requalifiée en donation indirecte.

Une affirmation que les magistrats de la Cour de cassation viennent d'invalider. Selon eux, l'usufruitier de la quasi-totalité des parts sociales d'une SCI, en votant, même de façon récurrente, la mise en réserve des bénéfices, ne consent pas une donation indirecte au profit du nu-propriétaire. Commentaire cette solution de principe rendue par la Cour de cassation à propos d'une société civile ayant opté pour l'impôt sur les sociétés est d'autant plus intéressante que rien ne s'oppose à ce qu'elle soit transposée à toutes les formes de sociétés, civiles ou commerciales, soumises ou non à l'impôt sur les sociétés. Pour rejeter la qualification de donation indirecte, la Cour de cassation n'a pas suivi l'analyse des juges du fond. Le principe qu'elle pose est très clair : la mise en réserve des bénéfices décidée par l'assemblée générale d'une société ne peut en aucun cas être requalifiée en donation indirecte.

Pour motiver sa décision, la cour s'appuie sur la règle selon laquelle le droit aux dividendes des associés suppose une décision collective expresse, généralement prise à l'occasion de l'approbation annuelle des comptes, de distribution de tout ou partie des bénéfices. Autrement dit, le droit au bénéfice de l'usufruitier (ou de tout autre associé plein propriétaire) n'existe qu'après la décision de l'assemblée générale d'attribuer des dividendes (bénéfices distribués).

Ainsi, l'usufruitier n'a aucun droit sur les bénéfices de la société avant leur distribution sous forme de dividendes, et ne peut donc pas renoncer au bénéfice social, puisqu'il ne lui appartient pas : ce dernier figure dans le patrimoine de la société. Par conséquent, en participant à la décision de mise en réserve des bénéfices, il ne consent aucune donation aux nus-propriétaires.

Ainsi, la Cour de cassation réaffirme la définition qu'elle donne aux dividendes. Une définition devenue constante au fil des années : « Les dividendes n'ont pas d'existence juridique avant l'approbation des comptes de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes distribuables, et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé. »

Ainsi, les dividendes naissent à la suite de l'assemblée générale qui approuve les comptes, constate l'existence de sommes distribuables et détermine les parts attribuées aux associés.

Cette décision de la Cour de cassation ne permet toutefois pas de trancher la question relative à l'attribution des réserves en cas de démembrement des parts sociales, à savoir qui du nu-propriétaire ou de l'usufruitier a droit aux distributions de bénéfices mis en réserve. C'est pourquoi, il est fortement conseillé de régler le sort de la distribution des réserves dans les statuts.

Conseil :

Constituer une SCI puis donner la nue-propriété des parts à ses enfants permet notamment de réduire les droits de mutation à payer à l'occasion de cette donation aux enfants des parts de la société, et par la suite de ne pas supporter de tels droits au décès des usufruitiers (les parents). Finalement, les enfants héritent du patrimoine immobilier à un coût fiscal réduit.

Afin de parfaire la transmission initiée lors de cette donation, les parents peuvent désormais sans risque faire profiter leurs enfants d'un accroissement de la valeur de l'actif social en franchise de droits de mutation grâce à une mise en réserve des bénéfices de la SCI.

Attention toutefois à bien avertir nos clients de la nécessité de tenir une comptabilité, alors même que la SCI n'y serait pas tenue, afin notamment de sécuriser ces opérations vis-à-vis de l'administration fiscale. En effet, seule la tenue d'une comptabilité permet de matérialiser la décision de mise en réserve des bénéfices prise par l'assemblée générale des associés, sans oublier bien-sûr le secrétariat juridique de la SCI.

Il est également utile de leur préciser que grâce à la tenue d'une comptabilité, les flux financiers entre la SCI et les associés peuvent être caractérisés (apports en capital, distributions de dividendes, dépôts et prélèvements affectant les comptes courants d'associés) et leur historique reconstitué. Ainsi, la tenue d'une comptabilité réduit significativement le risque de contentieux quant à l'existence juridique et au traitement fiscal de ces flux financiers.

Références
Cassation commerciale, 10 février 2009, n° 07-21806 et 07-21807

Publié le mardi 21 juillet 2009 - © Copyright SID Presse - 2009